Un rideau de fumée
Hier, samedi 9 novembre, après plusieurs échecs dus essentiellement à des refus ukrainiens, le retrait de 1 kilomètre des forces armées belligérantes du secteur de Petrovsky (périphérie Ouest de Donetsk) a été réalisé.
Aussitôt le focus médiatique sur cette application réalisée des accords de paix s'est engagé vers un optimisme hystérique que je suis loin de partager et pour plusieurs raisons :
- Si la restauration d'une zone neutre entre les belligérants est effectivement la condition sine qua non pour l'application d'un vrai cessez le feu sur le front entre les unités d'infanterie, cela cependant ne sert pas à grand chose si le retrait des armes lourdes aux portées de tir dépassant sa largeur n'est pas lui aussi appliqué.
- Petrovsky et Zolotoy où un retrait est également prévu ne représentent que 1% d'une ligne de front où ailleurs les bombardements ukrainiens, et les combats consécutifs continuent. Il serait donc mensonger de généraliser l'exception des zones pilotes pour décrire la situation véritable du front du Donbass (voir article précédent).
- Techniquement, Kiev a maintenu des forces de police sur la zone évacuée, et certains veulent même y positionner la garde nationale. Or, les forces de sécurité intérieure ukrainiennes selon leur modèle soviétique disposent d'armements similaires aux forces armées conventionnelles. Il y a donc "retrait" mais non "démilitarisation".
- Enfin l'expérience de ces 6 dernières années, notamment avec les multiples cessez le feu calendaires (trêves du pain, de l'école, de Noël etc.) montre bien qu'aucune confiance ne peut être accordée aux ukrainiens et que les bonnes résolutions ont toujours été violées par Kiev après des vies éphémères.
Il faut donc aller chercher plus loin que le Donbass et même la Paix pour comprendre ce qui se trame vraiment derrière ce retrait localisé des troupes et que beaucoup veulent ériger en buzz médiatique annonçant le début de la fin d'un conflit meurtrier qui ensanglante l'Europe depuis 6 ans.
Lorsqu'on lit les comptes rendus presse concernant ce retrait des forces sur les zones pilotes de Petrovsky et Zolotoy on y apprend entre les lignes que de sa réussite dépend la nouvelle convocation du "Format Normandie" (Russie/Ukraine/Allemagne/France) promis lors du dernier sommet du G7 à Biarritz.
Là se situe probablement le véritable enjeu de cette opération de retrait microcosmique des forces au milieu d'un front où continuent dans une indifférence générale bombardements et combats meurtriers. Et si d'aucuns disent que ce "format Normandie" est justement au chevet du Donbass, je pense pour ma part que les objectifs occidentaux d'un tel sommet sont plus d'augmenter la pression sur la Russie en transformant les accords de Minsk à l'avantage de l'Ukraine que d'instaurer réellement la paix dans le Donbass.
Et pour ce faire le président Zelensky redevient un comédien qui fait semblant juste ce qu'il faut pour que le dialogue diplomatique international soit maintenu et lui ouvre les portes de Minsk, consacrant au passage sa légitimité présidentielle de plus en plus contestée en Ukraine. Voilà pourquoi Kiev a signé la "formule Stenmeier" (statut spécial, élections locales...) qui tente de réanimer les accords de paix, bien qu'elle soit largement contestée en Ukraine. Voilà pourquoi le retrait des troupes sur quelques centaines de mètres d'un front de 460 kilomètres été finalement consenti par Kiev. Kiev tente ici la tactique du "reculer pour mieux sauter" !
Car ce prochain sommet du "Format Normandie" s'annonce déjà dans un contexte international qui dépasse largement les enjeux et les menaces pesant dans un Donbass qui n'apparaît qu'un prétexte pour redéfinir une stratégie occidentale vis à vis de Moscou.
Dans cette stratégie le français Macron et l'allemande Merkel qui soutiennent inconditionnellement l'ukrainien Zelensky vont probablement tenter de renouer un dialogue politico-économique avec Moscou, en échange d'un "Minsk 3" dans lequel l'Ukraine n'est pas obligée de modifier sa constitution en vue du statut spécial ou d'appliquer la loi d'amnistie généralisée par exemple qui sont des points très contestés et menaçant la cohésion que le comédien Zelensky a bâti autour de lui lors des élections il y a 6 mois. Car le plus important pour les occidentaux est "calmer le jeu" entre Moscou et Kiev pour mieux poursuivre l'asservissement de l'Ukraine via son intégration future dans l'Union Européenne et surtout l'OTAN qui fera d'elle un bélier appuyé contre les murailles de la Russie.
Très probablement cette réunion tournera en procès d'intention contre Moscou et les "séparatistes" de Donetsk et Lugansk et sera un nouvel échec sur le terrain diplomatique et sur celui du Donbass et qui engagera un gel meurtrier du conflit pour encore longtemps, car pour l'instant ni les occidentaux ni la Russie ne veulent s'affronter directement sur cette nouvelle fracture européenne Est-Ouest. Et les signatures et promesses de Zelensky, tout comme celles de Porochenko prendront le chemin de la poubelle tandis que ses troupes réinvestiront à nouveau les zones récemment démilitarisées...
Seule une guerre d'usure par procuration est acceptable, pour le plus grand malheur des enfants, des femmes et des hommes du Donbass.
Erwan Castel