Ukraine : Guerre-épaisse

"Avec les soldats français 
qui défendent l'indépendance du Donbass"

Le groupe de français de repose et se divise certains quitteront le Donbass, d'autres non . Toutes les photos sont de l'auteur (Guillaume Chauvin)
Guillaume Chauvin est un photographe devenu au fil du temps un ami. il est venu déjà 3 fois sur le front du Donbass pour témoigner de cette "guerre épaisse" que la bien-pensance des médias occidentaux essaye d'étouffer. Natuerrellement Guillaume s'est rapproché des quelques volontaires français qui s'étaient aventurer dans les steppes du Donbass suivant l'appel de leurs coeurs.

Récemment, j'avais eu l'occasion de publier un premier reportage de Guillaume suite à son troisième séjour dans le Donbass où nous étions allé ensemble à la rencontre des populations civiles bombardées au milieu desquelles je vis et que j'essaye d'aider. Ici dans cette interview du média "Vice" Guillaume revient sur ses premières rencontres avec les volontaires français venus dans le Donbass.

En 2015, le groupe que nous formions était "atypique" pour ne pas dire "original" mais nous étions alors unis au delà de nos différences et incohérences par les sentiments d'injustice et d’écœurement provoqués par l'agression hallucinée et hystérique de l'armée ukrainienne contre la population du Donbass, et une volonté commune de vouloir servir, aider et témoigner de sa résistance populaire contre un totalitarisme russophobe et criminel.

J'ai relu avec attention et passion ces lignes écrites par Guillaume regrettant amèrement m'être laissé berné par Laurent, un insecte rampant venu un temps glaner des honneurs dans le Donbass et qui comme à son accoutumé a semé la zizanie dans cette communauté française déjà fragile, frappant les uns et les autres dans le dos à coups de calomnies, intrigues, trahisons de confiance et abus de pouvoir... 

Mais de ce passé restent d'abord les souvenirs partagés entre français, avec les autres camarades de l'unité, les civils riverains de notre ligne de front, les missions d'observation ou de reconnaissance qui ont rythmé notre aventure militaire, humaine et intérieure. Enfin ces visages disparus de camarades emportés à l'horizon par la guerre mais jamais disparus de nos mémoires : Moskva, Dietrich...

Les amitiés dans mon coeur sont restés plus fortes que les trahisons, même si les blessures sont toujours ouvertes par le sel continuellement jeté par des vautours qui inévitablement planent au dessus des tragédies humaines pour se servir et non servir !

Je remercie du fond du coeur Guillaume de ce témoignage d'autant plus intéressant et important qu'il est libre et sincère, mais aussi Tonio, Sacha, Gabi, Nicolas, Renaud, Alexandre, Yuri, Pavel et tous les autres qui ont été les artisans de cette belle aventure dans le Donbass et qui continue d'ailleurs pour une poignée d'entre nous...

Erwan Castel, volontaire en Novorossiya

Source de l'article : Vice.com

ParGUILLAUME CHAUVIN;
propos rapportés par ROMAIN GONZALEZ and JULIE LE BARON
Jun 14 2017, 8:00am

En compagnie des anciens étudiants, boulangers ou militaires 
qui ont pris les armes contre le pouvoir ukrainien.

J'ai débarqué dans l'est de l'Ukraine à l'été 2015, en passant par la frontière russe, et j'y suis retourné de nombreuses fois afin d'étoffer mon travail. Mes recherches m'ont conduit à parcourir la région de Donetsk, située en plein cœur de la « République populaire de Donetsk », ou RPD – une zone qui englobe notamment les villes de Donetsk, Gorlovka et Debaltsevo. Prise au piège d'une guerre civile qui dure depuis trois ans et qui a déjà fait officiellement plus de 10 000 morts, la région est déchirée entre « l'opération antiterroriste » du gouvernement ukrainien et « la résistance patriotique » du camp séparatiste – pour reprendre les termes consacrés de chaque côté de la ligne de front.

Pour les journalistes, l'accès aux républiques séparatistes ukrainiennes – RPD et RPL, ou « République populaire de Lougansk » – est restreint, c'est un fait. La raison est simple : il s'agit d'« États » récents et menacés, en guerre sur le terrain militaire comme sur celui de l'information. Les autorités, méfiantes et désireuses de défendre leur vision des évènements, sont très présentes sur place, même si ça ne m'a pas empêché d'exercer assez librement mon travail – hormis quelques cas précis, dont l'interdiction de clichés révélant des positions ou du matériel stratégiques, des personnes pas censées « être là » ou ayant de la famille de l'autre côté du front.


Une fois sur place, malgré ces quelques obstacles, j'ai cherché à rencontrer des volontaires français combattant dans la milice locale – aujourd'hui devenue armée officielle. J'avais contacté l'un d'entre eux par Internet. Erwan avait accepté ma présence au sein de son groupe, et j'ai calé mon rythme sur le sien, le suivant sur le terrain, essayant d'être aussi « rustique » que les autres combattants hexagonaux. Depuis, par l'intermédiaire de publications « dépassionnées », j'ai pu garder de bonnes relations avec eux et y poursuivre mon travail d'auteur. Par contre, l'accès à l'Ukraine m'est désormais compromis alors que, dès 2015, j'avais pris soin de demander aux autorités ukrainiennes leur accord afin de produire un récit miroir sur les volontaires français engagés de ce côté-là du front – ce qui m'a été refusé. Au final, malgré ce déséquilibre apparent, j'ai tenu à livrer un récit s'éloignant le plus possible du traitement médiatique partial et partiel de cette guerre en France. Le déséquilibre informatif m'a toujours titillé – c'est ce qui m'avait poussé à me rendre sur place, d'ailleurs – et j'ai sans cesse rejeté l'opposition simpliste entre Ukrainiens ultranationalistes hystériques et poutinistes parano-débiles, qui ont pour point commun d'être des complotistes de salon ou de clavier.

Pavel, romantique colosse slovaque, combattant de MMA et ancien patron de casino chypriote, devenu soldat de la république de Donetsk.

Dans le cas du Donbass, on a très rapidement diabolisé un camp et enjolivé l'autre. Aujourd'hui, j'ai l'impression que l'euphorie du début de guerre s'est évanouie et qu'on revoit progressivement notre jugement, car les faits nous y poussent : les gentils ukrainiens modernistes le sont moins, les méchants envahisseurs russes ne le sont plus tant que ça. Les seules vraies victimes sont les civils, et l'Europe. On sent désormais que sous leur vernis médiatique respectif, ces deux camps sont finalement plus complexes qu'il n'y paraît.

Quoi qu'il en soit, la plupart des comptes rendus occidentaux relatant les affrontements dans cette région sont toujours produits côté Kiev, et vont dans son sens – pour des raisons politiques et pratiques, avec des interlocuteurs pas forcément recommandables. Les motivations et souffrances des séparatistes sont bien souvent occultées. Ces derniers ne sont pas tous des terroristes, ou des mercenaires russes. Initialement, les populations séparatistes du Donbass n'étaient d'ailleurs pas spécialement prorusses, à les entendre. Elles le sont devenues, ne voyant pas vers qui d'autre se tourner.

La plupart des médias occidentaux occultent le fait que les Ukrainiens sont considérés comme des « occupants » par de nombreux habitants de la région. De même, peu de spécialistes et commentateurs évoquent les centaines de milliers – voire le million, selon Sergueï Lavrov – de réfugiés ayant fui l'Ukraine pour rejoindre la Russie. Il y aurait tant à dire et à développer. Je pense qu'un jour, on s'en mordra les doigts – ou pas, vu qu'on a déjà rangé sous le tapis la Yougoslavie, la Libye, l'Irak ou l'Afghanistan, et leurs morts.

On ne réalise pas à quel point le Donbass est une zone en guerre. Une guerre de basse intensité, certes ; une guerre à l'ancienne façon Verdun, avec ses tranchées et ses tunnels, mais une guerre quand même. Quand tu arrives à Donetsk, tu passes du centre-ville aux tranchées en quelques minutes. C'est surréaliste.

Un sous-officier séparatiste sur une position au sud de Donetsk.
Lors de ma première rencontre avec Erwan, le groupe de combattants était constitué d'une quinzaine de Français – des étudiants, des boulangers, des militaires, des graphistes, issus des quatre coins de la France, novices de la guerre ou non. Il s'agissait de la deuxième vague de volontaires, moins sulfureuse que la première, à qui l'on a reproché d'avoir fait passer ses idées avant la cause séparatiste. Quoi qu'il en soit, je n'ai croisé la route d'aucun mercenaire. Tous les gars venaient sur leurs économies, ou étaient soutenus financièrement par des proches. Aujourd'hui, le groupe a éclaté, par déception, par ennui, ou par évolution des projets de vie. Certains ont été blessés, d'autres sont rentrés en France. En avril 2017, ils étaient moins de dix – dont trois qui souhaitaient s'installer définitivement à Donetsk.

Pour beaucoup, leur engagement résulte de l'incendie criminel d'Odessa en 2014 – où 42 civils prorusses trouvèrent la mort, la plupart brûlés vifs dans la Maison des syndicats. Les volontaires français que j'ai rencontrés dans la région de Donetsk critiquaient en chœur la révolution de 2013. Après, il est évident que certains avaient rejoint la région pour se confronter au mythe, chercher l'aventure de la guerre, ou se tester.

De son côté, Erwan vit toujours là-bas, à Donetsk, tout près de l'aéroport fréquemment bombardé. Il aide des civils à réparer leur maison et a monté une structure d'entraide. Dès que les combats s'intensifieront de nouveau ou que le fameux assaut ukrainien – auquel beaucoup se préparent – sera déclenché, il reprendra les armes.

Guillaume Chauvin

Elena, volontaire médicale venue d'Arkhangelsk, sur une position près d'Ouglegorsk
Un voisin de chambrée resté bricoleur dans l'hôpital de Dokutschaïevsk sur la ligne de front
L'ancien couvent des soeurs d'Iverskiy, non loin de l'aéroport de Donetsk,
régulièrement bombardé depuis 2014 – notamment au phosphore blanc

Erwan arrivant sur une position à défendre, avec trop peu d'hommes et de matériel à ses yeux. Région de Donetsk.

Erwan dans le centre-ville de Donetsk, tourné vers les bruits des bombardements
sur le quartier de Spartak

Un soldat séparatiste sur position vers Debaltsevo


D'anciens mineurs membres volontaires du bataillon "Chartyor", sur position près de Luganskoe au Sud de Donetsk

Blindé séparatiste – un trophée pris à l'armée ukrainienne – en mouvement près de Signalnye

Marina et Vika dans leur cave devenue abri anti-bombardements, quartier de Spartak. Quelques jours plus tard, l'habitation sera touchée par un obus de 152mm.

Des officiers fêtent Pâques et un anniversaire en sous-sol, quartier d'Oktyabrsky, face à l'aéroport de Donetsk.

Guillaume est membre du studio Hans Lucas.

L'entretien complet et non-édité par la rédaction de VICE France est ici :


Source de l'article : Guillaume Chauvin

Avec les soldats français qui défendent l'indépendance du Donbass

- Tout d'abord, peux-tu me dire où et quand as-tu pris ces photos ? Combien de temps es-tu resté sur place ? Combien de visites y as-tu effectué ? Comment as-tu réussi à avoir de tels accès ?

Guillaume Chauvin autoportrait
J'ai commencé ce travail dans l'est de l'Ukraine à l'été 2015, principalement dans la région de Donetsk (actuelle RPD), en territoire séparatiste : villes de Donetsk, Gorlovka, Debaltsevo, Spartak, Uglegorsk, Luganskoe, Oktyabrsky, Peski... C'est un contexte de guerre civile qui dure depuis trois ans et a déjà fait plus de 10 000 morts, officiellement... D'autres sources sur place évoquent quasiment le double. Le gouvernement ukrainien appelle cela "opération anti-terroriste", le camp séparatiste nomme cette lutte "résistance patriotique". Dès le début je souhaitais produire un témoignage long entre journalisme de terrain et récit sensible, sur plusieurs mois voire années, à raison d'une visite tous les six mois parallèlement à mes autres engagements professionnels, car il s'agit là d'une démarche personnelle, sans soutien (sinon celui symbolique d'Engarde, fabricant de gilets pare-balles qui m'en prêta un, merci !). Mon éditeur (Allia) et le studio avec lequel je travaille (Hans Lucas) m'avaient aussi produit des ordres de mission pour l'occasion. Je n'ai sinon réussi à obtenir aucune bourse ou aide à projet artistique depuis le début.

L'accès aux républiques séparatistes (RPD et RPL) est restreint, c'est un fait. Tout d'abord parce qu'il s'agit d' « états » neufs et menacés, en guerre sur le terrain militaire comme celui de l'information. Ces états préfèrent donc contrôler ce qui se dit d'eux, d'autant qu'ils ont rencontré plusieurs cas d'espionnage ou de désinformation. Ils sont donc méfiants, ce qui est dommage car cela va dans le sens de leurs détracteurs... Pour ma part, hormis des clichés interdits pour raison de sécurité (positions ou matériel stratégique, personnes pas censées « être là » ou ayant de la famille de l'autre côté du front), je fus assez libre pour travailler, sans avoir à être « embedded ». Lors de mon premier voyage j'étais passé par la Russie où j'avais alors un autre engagement et un visa presse. À la frontière, quelques questions du F.S.B., puis le ministère de l'information à Donetsk a rapidement compris que je venais comme auteur sur un long terme avec l'intention de comprendre et donner à comprendre (mes premiers livres et mon passif "subversif" envers Paris Match ont aussi facilité cet accès). Ils ont vu que même sans soutenir tout de leur cause, on peut venir travailler avec curiosité et sincérité et produire un récit fiable, bien que détaché des contraintes propres au journaliste ou à l'artiste...

Au début sur place j'ai commencé par rencontrer des volontaires français combattant alors dans la milice, aujourd'hui devenue armée. J'avais contacté l'un d'entre eux par internet, Erwan, qui avait accepté ma présence au sein de leur groupe, quand je ne travaillais pas avec des civils. J'ai calé mon rythme sur le leur, les suivais sur positions, j'essayais d'être aussi rustique qu'eux et tout s'est bien passé. Depuis, au travers de publications "dépassionnées" et la persistance de ma démarche auprès d'interlocuteurs variés, j'ai pu garder de bonnes relations avec les acteurs locaux et y poursuivre mon travail d'auteur. Par contre, l'accès à l'Ukraine m'est désormais compromis, même si dès 2015 j'avais simultanément aussi fait les demandes pour rejoindre le côté ukrainien et produire un récit miroir sur les volontaires français et les civils des deux côtés du front, en vain (d'ailleurs, j'en profite pour inviter Kiev à enfin me permettre cet accès afin d'alimenter mon récit, humaniste avant tout..).

Malgré mon vécu en zone séparatiste, ma meilleure compréhension de la réalité sur place et certains liens d'amitié noués de cet « autre côté », j'essaie de garder du recul sur ce travail sans tomber dans aucune propagande et ainsi mieux continuer à revendiquer une subjectivité responsable, un point de vue documenté. C'est là qu'est la vraie responsabilité de l'auteur je pense : résister en se détachant des considérations du moment pour essayer de faire émerger un discours de fonds plus universel.

- Qu'est-ce qui a motivé ce sujet ? Que cherche-tu à montrer à travers ces images ?

La réponse a évolué au fil du travail et elle le fera encore... Au début c'était en réaction au traitement médiatique partial et partiel dont bénéficiait cette guerre : le déséquilibre informatif évident m'a toujours titillé, alors j'ai eu envie d'aller sur place, pour mieux voir et comprendre, et pourquoi pas démystifier. Comme Gilles Peress sur d'autres faits de société, même sans appareil photo j'y serai allé... En plus cette zone étant russophone, je pouvais y travailler sans fixeur et j'étais « curieux » de voir une guerre civile (même si on dit que toutes les guerres sont civiles) du côté des agressés et des laissés pour compte.

Ensuite, au vu de la réalité sur le terrain et du scepticisme ou de l'indifférence des gens à mon retour en France, j'ai voulu densifier mon témoignage. Pour qu'il puisse être un outil utile un jour ou l'autre. Ce projet s'affine au contact du réel, avec le recul du temps. Personne ici ne m'a demandé d'y aller ou de donner mon avis, je pourrais ne pas montrer toutes ces images, mais j'y tiens, d'autant que tous ceux rencontrés là bas m'ont prié de le faire et de témoigner. L'autre motivation était une réaction à ceux qui s'appropriaient (ils le font encore) ce conflit complexe : des gens délirants pour la plupart, soit des ukrainiens ultra-nationalistes hystériques, soit des poutinistes parano-débiles, avec comme point commun d'être des complotistes de salon ou de clavier... J'ai donc voulu dépassionner notre rapport à cette guerre en livrant un récit réaliste et subjectif. Que devant mon travail, ceux sur le terrain s'y retrouvent, et que le néophyte devant le livre ait envie de le comprendre.

Concernant mes images, elles racontent peu, voire rien. La plupart ne sont même pas visuellement rattachables à un camp ou l'autre. Les civils se ressemblent des deux côtés du front, les soldats aussi, tous équipés presque à l'identique, évoluant dans des tranchées faites de la même terre. Visuellement tout est confondant dans cette guerre : seuls les drapeaux distinguent les deux parties et les idées dans les têtes des gens. Mes images ne disent donc rien des causes et enjeux de cette guerre. Elles sont un mix de sidération et d'anecdotes. J'accepte et j'assume qu'elle ne soient que ça, et que toute intention photojournalistique (au sens classique) est en général bien vaine sans la béquille du texte, de la légende ou de la mise en page. J'avoue ne pas aimer mes images car je sais tout ce qu'il y a eu avant pendant et après, j'ai de l'affect, le souvenir des parfums et des bruits intransmissibles au lecteur. Elles sont frustrantes et muettes, et comme dit le professeur Guy Meyer, l'image est d'abord une question, pas une réponse... C'est donc pour cela que je mélange mes clichés à ceux d'amateurs récupérés sur place, à des captures de films, des scans d'autres documents et des textes pour approcher et rendre intelligible mon ressenti sans nuire au contenu informatif. Autant d'indices rassemblés pour le lecteur sans qu'il n'aie à s'y rendre lui-même, dans l'espoir qu'il envisage ainsi une vérité autre que celle qu'on nous propose...

L'objectif est de boucler GUERRE ÉPAISSE sous forme de livre pour l'automne, dont le but est de raconter la grande Histoire à travers les petites. Sans juger, car je sais que je sais peu et que mon travail n'arrêtera pas la guerre. Vu tout le mal qui a déjà été fait, seule la politique et l'intelligence des hommes le pourraient. J'envisage donc plutôt ce témoignage comme une forme de divertissement public, édifiant et utile à l'avenir. J'y donne des éléments que chacun est libre d'interpréter, en s'écartant toujours de tout militantisme, sinon celui visant à responsabiliser le plus grand nombre. Façon Malick avec sa ligne rouge, Kent Anderson avec Sympathy for the devil ou Gert Van Kesteren avec Why mister why..

- Après avoir passé du temps sur place, peux-tu me dire ce que tu penses de la couverture médiatique du conflit et de son évolution au fil des années ?

C'est un sujet délicat car avant j'avais déjà une méfiance théorique des médias, saine, puis une fois dans leur bain concret, à répondre à des commandes ou collaborer sur le terrain, la réalité du métier et des rencontres m'ont fait enchaîner une enfilade de désillusions plus grandes encore ! Je ne peux négliger quelques exceptions, des individus très pros, irréprochables et utiles, mais ils sont si peu et la profession fait tant pour qu'ils disparaissent... Sur l'Ukraine, ils sont rares (Dmitry Beliakov, Simon Ostrovsky, Paul Moreira, Babylon'13, Emmanuel Schreiber ..). Je regrette que beaucoup d'autres viennent en sachant déjà ce qu'ils vont en ramener. L'autre problème est que les journalistes n'éprouvent pas ou peu d'empathie pour leurs sujets et se contentent de livrer les marronniers commandés (ici : maisons cassées, ambiances soviétiques, vieilles en larmes, camps d'entraînement pour enfants, mineurs stoïques, soldats sales...). Les pires, tous médias confondus, étaient ceux qui venaient pour les selfies au front et pour alimenter leur CV des pires coins du mondes, genre : « Irak, Syrie, Soudan, Ukraine... ok c'est bon j'y étais. Et toi t'y étais ? ». Puis passent à la mission suivante, au prochain albinos haïtien, la prochaine lesbienne chinoise, le prochain migrant mort, tous ponts coupés avec la mission d'avant. Tout ça pour l'ego, du fric ou des prix. Le mythe s'auto-alimente, l'économique prends le pas sur l'éthique, la profession ne fait plus référence qu'à elle même.

Bref pour en revenir à ta question : dans le cas du Donbass, dès le début on a diabolisé un camp et enjolivé l'autre. Petit à petit j'ai l'impression que l'euphorie du début de guerre s'est tassée et qu'on revoit progressivement notre jugement car les faits nous y poussent : les gentils ukrainiens modernistes le sont moins, les méchants envahisseurs russes ne le sont plus. Les seules vraies victimes sont les civils et l'Europe. On sent désormais que sous leurs vernis médiatiques respectifs, ces deux camps sont finalement plus complexes... En résumant, on pourrait même dire que la guerre n'a eu lieu « qu'en 2014 », et que depuis ce n'est que de l'inertie et du business entre ceux à qui ça profite, pendant qu'en première ligne se battent ceux qui croient encore en l'idéal initial, pour leur famille et leur terre, ou parce qu'ils n'ont rien de mieux à faire... Mais malgré tous ces efforts informatifs, pour la plupart des occidentaux ça reste et restera une bande de slaves qui s'écharpent entre eux au fin fonds de l'Europe... Une plaie que personne ne laisse cicatriser.

En vrai, raconter une guerre est tellement complexe, tant d'enjeux se percutent en ces zones de culture souvent autre, qu'on est bien peu de choses pour juger, et on ne sait jamais trop quoi y chercher ni comment s'y impliquer pour en témoigner. J'avoue aussi que visuellement, il est très dur de produire une vision originale d'une guerre, tout y est tellement iconique et spectaculaire. On devrait l'assumer. En plus, soit l'information est difficile d'accès, soit difficile à mettre en images pour concerner le consommateur en bout de chaîne. Du coup, paradoxalement, la guerre est souvent racontée par ceux qui ne la « pratiquent » pas (sauf les services com des armées, mais on est justement dans de la com..) : ce sont des civils formés à cela (les journalistes) qui s'approprient provisoirement ce contexte et le « traduisent » à l'intention d'autres civils, car ceux qui combattent sont souvent incapables de l'exprimer... Il faut donc bien choisir où se placer, et le revendiquer.

Dans tous les cas, la plupart des comptes-rendus occidentaux sur cette zone demeurent produits côté Kiev et en son sens, pour des raisons politiques et pratiques, avec des interlocuteurs pas toujours recommandables, tout en continuant d'occulter les motivations ou souffrances réelles des séparatistes. Ces derniers ne sont pas tous des terroristes ou des mercenaires russes. Initialement, les populations séparatistes du Donbass n'étaient d'ailleurs pas spécialement pro-russes, elles se sont devenues, ne voyant pas vers qui sinon se tourner après que leur propre peuple les combatte... Les médias occultent aussi l'éventualité que les ukrainiens soient vus là bas comme « occupants », occultent les millions de réfugiés principalement partis en Russie, la masse quotidienne de bombes ukrainiennes tombant sur ces régions, les business douteux entre dirigeants des deux camps, la lassitude et le doute croissants, ou cette mentalité soviétique qui a toujours été propre au Donbass, puisque les séparatistes vont « souffrir et encaisser jusqu'à la victoire »... Mais les médias occultent surtout l'immense espoir partagé d'une paix rapide. Il y aurait tant à dire et développer. Je pense qu'un jour on s'en mordra les doigts... Ou pas, vu qu'on a déjà rangé sous le tapis Yougoslavie, Lybie, Syrie, Irak, Afghanistan, leurs espoirs et leurs morts... Je préfère laisser mon livre développer cela et que d'ici là ces sentiments seront bientôt médiatisés pour qu'on assiste à une progressive nuance des analyses et de leurs conséquences.

- Peux-tu me parler des combattants français que tu as rencontrés ? Combien sont-ils dans le Donbass ? Sont-ils tous des volontaires ? 

Lors de notre première rencontre en 2015 le groupe était d'environ une quinzaine de personnes. C'était la deuxième vague de volontaires, moins sulfureuse que la première.. On dit que la première vague avait mis la cause au service de ses propres idées, avec les dérapages qu'on leur connaît, tandis que la deuxième, plus « concernée », mettait ses idées au service de la cause séparatiste... Aucun mercenaire dans tous les cas. Tous venaient sur leurs économies ou soutenus par des dons de proches. Entretemps le groupe a éclaté, par déception, par ennui, ou par évolution des projets de vie. Certains ont été blessés, d'autres sont rentrés en France. En avril ils étaient moins de dix, dont trois qui souhaitent s'installer définitivement à Donetsk. J'ai rencontré aussi bien des anciens agriculteurs que des ex-étudiant/boulanger/militaire/graphiste/etc.. Tous profils, du nord, sud, est, ouest de la France, novices de la guerre ou non, aux passions, idéologies et idéaux divers. Aujourd'hui certains français restent, d'autres non, certains sont partis en Irak ou ailleurs et d'autres n'attendent qu'une occasion pour revenir : « la grande offensive ukrainienne ».

- Décris-moi une personne qui t'a particulièrement marquée au cours de ton reportage, et pourquoi.

Beaucoup étaient marquants. Par leur engagement, leur résilience ou leurs expériences vécues, locaux, étrangers, civils ou militaires... De l'écrivain star venu combattre ici (Zakhar Prilepine) à la mémé qui a commencé sa vie dans la guerre et la finira de même dans sa cave, il y a toute une galerie de personnages marquants, générés ou non par ce contexte hors du commun. Tu peux aussi bien être touché par le soldat qui entre deux bombardements tient à te préparer une soupe, que par la vendeuse de village qui te montre sur son téléphone des vidéos ultra-violentes que peu de gens verront. Erwan Castel, le volontaire breton, m'a quand même particulièrement marqué car en plus d'une vie déjà remplie d'engagements divers, il savait faire preuve de sensibilité, de finesse d'esprit et d'un talent pour la blague ainsi que d'un sale caractère et une certaine folie peut-être propre aux bretons... Erwan vit toujours là bas, aujourd'hui dans un des quartiers de Donetsk proche de l'aéroport, fréquemment bombardé. Il aide des civils à réparer leurs maison ou améliorer leur quotidien et a monté une structure d'entraide, mais dès que les combats s'intensifieront ou que le fameux assaut ukrainien auquel beaucoup ici se préparent arrivera, il reprendra les armes. Beaucoup étaient marquants : Vika, Tonio, Apache, Nastia, Renaud, Jean-Michel le jeune belge imprévisible tout droit sorti d'un épisode de « strip-tease », et les autres, vivants et morts.

- Quelles sont les raisons qui les ont motivés à partir ?

Il y a de tout mais le déclic commun à la plupart fut le massacre d'Odessa en 2014 où des civils russophones furent brûlés par une foule incontrôlable. Les volontaires français étaient aussi critiques envers la révolution Euro-Maïdan à Kiev en 2013, et j'imagine qu'ils étaient en plus insatisfaits de leur situation en France. D'autres sont venus se confronter au mythe, chercher l'aventure de guerre en guerre ou se tester eux-mêmes. Pour certains ce fut un appel de leur héritage familial ou culturel, pour d'autres une fuite en avant. De ceux que j'ai connu, plusieurs voulurent d'abord venir au secours de la population du Donbass et soutenir activement ce projet de "Novorossiya", avec ou sans armes. Les images de néo-nazis côté ukrainien ont aussi pu les motiver pour venir se battre, ainsi certains qui venaient initialement pour une mission humanitaire, ne se sentant sur place pas assez utiles se sont engagés dans la milice pour aller au front. Le tri s'est assez vite fait et ne restent que ceux motivés ou pas ébranlés par le choc culturel... Seule la paix est désormais espérée par tous ceux non fanatisés.

- Qu'est-ce qui t'a le plus marqué sur place ?

Le plus marquant est plutôt l'indifférence quand tu rentres, car là bas c'est la guerre ; même si de basse intensité, c'est à l'ancienne façon Verdun, avec ses tranchées et ses tunnels, son artillerie et ses villages rasés, on ne le dit pas assez. Ce qui marque quand tu arrives, c'est aussi la proximité du front avec le centre-ville « préservé » de Donetsk : le temps de deux chansons à la radio du taxi tu passes des boulevards à franchises clinquantes aux tranchées des poilus. C'est surréaliste. Ensuite plein de détails peuvent te marquer : les restes de vies privées dans les maisons abandonnées, les filles d'une extrême beauté dans des villages, le courage de ceux qui ont tout perdu, les excellentes blagues dans des situations tendues... Je réalise aussi que ce qui m'a marqué et me marquera encore, c'est le constat de la fragilité des êtres, des objets et des matières, du corps humain à l'immeuble en passant par l'arbre, le chat ou le poteau électrique... Et imaginer le coût phénoménal de ces destructions, reconstructions, rasages et leur impact sur les caractères et les personnalités à venir... Et comme bouquet final, le fait qu'on ne sait plus trop ce qui motive tout ce chaos. Puis quand tu rentres en France tu reprends tes commandes et tes engagements de prof à mi-temps, tes élèves n'imaginent pas où tu étais pendant les vacances, alors tu leur donnes comme d'habitude un nouvel exercice d'art plastique. « L'Art c'est tout ce qui rend la vie plus intéressante que l'Art » – disait Robert Filiou... Je confirme.


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S'il vous plaît, pour m'aider dans le travail de réinformation et l'aide engagée auprès des habitants sinistrés de mon quartier

Si l'argent est le nerf de la guerre il est malheureusement également aussi celui de la réinformation pour laquelle j'ai décidé de me consacrer seul et à plein temps malgré une absence actuelle de revenus et une censure de mon travail par les agences de presse occidentales collabos, mais également par des crapules, jaloux ou obsédés du monopole de l'information venus jouer les vautours dans le Donbass..

Au delà de mes besoins de subsistance (8 000 roubles par mois (150 euros au taux de change local) j'utilise les dons supplémentaires pour aider des personnes isolées et des familles de mon quartier.

Suite aux actions calomnieuses de militants pro ukrainiens qui engagent des procédures de fermeture de comptes bancaires, je vous demande de me contacter par mail : alawata@gmail.com pour que je vous transmette l'adresse où m'adresser les dons éventuels.

Observation : la plus petite somme (équivalent à celle d'un paquet de cigarette) est la bienvenue et vitale ici.

En vous remerciant par avance de votre soutien moral et matériel

Bien à vous
Erwan

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