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Obusier automoteur de 122mm du groupe "Wagner" après un "travail" contre les positions ukrainiennes de Artemovsk - début octobre 2022. |
Situation générale
Beaucoup d'encre et surtout beaucoup de sang coule depuis quelques jours autour des offensives ukrainiennes menées sur les fronts Nord et Sud du conflit russo-ukrainien. Après l'échec de sa 1ère phase stratégique (stratégie de choc blindé visant à obtenir une capitulation de la politique atlantiste de Kiev), et l'épuisement de sa 2ème phase stratégique malgré des gains territoriaux importants ayant permis le rattachement de 4 territoires russes d'Ukraine, l'Etat Major russe engage un "second format" militaire dans le Donbass que j'annonçais le 28 août dernier et dont l'expression est reprise aujourd'hui par plusieurs commentateurs.
Malheureusement, et comme d'habitude, l'attentisme russe qui est le revers de médaille de sa résilience a donné suffisamment de temps aux forces ukro-atlantistes pour, à leur tour, prendre ses initiatives opératives avec des offensives séquencées, sur le front Sud en direction de Kherson et sur le front Nord en direction des frontières Nord de la République Populaire de Lougansk.
Situation générale du front russo-ukrainien au 5 octobre 2022
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Alors que les forces ukrainiennes ont réussi des progressions au Nord et au Sud, leurs bastions dans le Donbass craquent sous les assauts répétés des forces russes |
Une course de vitesse entre les offensives de Kiev,
et les renforts russes.... avant l'hiver arrivant !
Il y a sans conteste une ténacité des forces ukro-atlantistes à poursuivre "coûte que que coûte" leurs attaques avec un courage qu'il serait malhonnête de ne pas remarquer et des procédures tactiques occidentales efficaces fondées sur des appuis modernes d'artillerie et de renseignement aérien, une combinaison entre des unités terrestres autonomes et mobiles pratiquant une techno guérilla ainsi qu'une numérisation de plus en plus importante du champ de bataille (assistance drone et satellite, IFF embarqué, situation en temps réel jusqu'au 1er échelon tactique des unités adverses).
La guerre opérative est revenue à une phase dynamique sur les fronts Nord et Sud avec notamment aussi, le retour sur le champ de bataille de la composante blindée qui anime autant les assauts ukro-atlantistes que les contre-attaques et freinages russes voulant prioritairement éviter l'encerclement de leurs forces et offrir à l'Etat- Major de Kiev des "victoires à la Pyrrhus".
Duel impressionnant entre un char T64 BV
ukrainien et un char T80 BV russe vainqueur
En face de ces mouvements offensifs ukro-atlantistes, les forces alliées (qu'il convient d'appeler "forces russes" depuis les rattachements des territoires), dont les moyens et les effectifs sont seulement en cours de réorganisation, n'ont pas d'autre choix que de rompre le combat lorsque celui-ci risque d'aboutir à leur encerclement. C'est ce qui s'est passé sur le front Nord après le 7 septembre, date de l'enfoncement du secteur de Balaklaïa où, pour ne pas augmenter les pertes déjà subies et importantes, l'Etat Major russe, à défaut de n'avoir pas su anticiper l'offensive ukro-atlantiste dans sa juste menace, a su anticiper enfin ses conséquences en ordonnant un repli vers la ligne formée par la rivière Oskol.
Situation sur le front Nord au 5 octobre 2022
Cette mesure a permis d'éviter l'encerclement de nombreuses unités russes comme par exemple la 1ère Armée blindée de la Garde qui était stationnée autour d'Izioum. Malheureusement les sous effectifs russes et le manque de temps n'ont pas permis d'établir une ligne de front solide sur l'Oskol et les forces de Kiev ont pu ainsi poursuivre leurs progressions inertielles à travers 2 têtes de pont réalisées dans les secteurs de Koupiansk et Krasni Liman. Aujourd'hui, les combats se déroulent sur les frontières occidentales de la République Populaire de Lougansk récemment rattachée à la Fédération de Russie.
La situation sur le front Sud est encore plus séquencée du coté ukro-atlantiste : après avoir initié une offensive fin août contre la tête de pont russe (100km X 40 km) située sur la rive Nord du Dniepr (laquelle avait été annoncée depuis fin juillet pour vraisemblablement faire diversion au profit de celle du front Nord), les forces ukro-atlantistes, après avoir pu compenser les pertes importantes subie lors de cette première phase ont engagé début octobre (en alternance avec les attaques sur le front Nord) une deuxième phase offensive en direction de Kherson.
Si la situation autour le ville de Kherson s'est stabilisée au profit des forces russes, en revanche au Nord-Est, les forces ukro-atlantistes ont réussi une percée le long du Dniepr jusqu'à Dudchanoye, menaçant alors les forces russes d'un encerclement Nord en rejoignant la tête de pont élargie d'Andrivka.
Infographie du réseau "Rybar" concernant
la situation sur le front de Kherson.
Cette percée ukrainienne ici aussi a bénéficié du sous-effectif des forces russes, d'une steppe agricole très peu urbanisée et propice aux grandes attaques blindées, mais aussi à l'usure importante de la logistique russe par les HIMARS de l'OTAN qui détruisent systématiquement depuis plus de 2 mois, les dépôts de munitions, de carburant, les ponts... sur le Dniepr pour isoler au maximum la tête de pont russe.
Dans leur nouvelle aide militaire (aujourd'hui quasi hebdomadaire)
Washington a livré à nouveau 4 nouveaux HIMARS ainsi que de
nombreuses munitions et autres armes, pour 625 millions de $.
Le chant du cygne de l'armée ukrainienne
Dans toute guerre il ne faut pas seulement regarder l'écume de la vague la plus proche mais aussi sa force et surtout celles qui suivent pour exploiter son action et, dans le cas de ces offensives ukrainiennes force est de constater que leurs succès réels et incontestables sont aussi relatifs et surtout très fragiles :
- Si le gain de territoires sur l'adversaire est effectivement un objectif militaire important, la destruction ou la capture des forces ennemies reste la priorité d'une armée au combat. Or, à part Balaklaïa où effectivement l'effet de surprise a été payant, et Krasni Liman où la garnison a attendu jusqu'au dernier moment des renforts qui ne sont pas venus, les forces ukro-atlantistes ne sont jamais parvenues à infliger des pertes importantes aux forces russes qui se sont dérobées devant chaque risque d'encerclement.
- Lors de leurs progressions, où forcément elles se retrouvent en position vulnérable, les forces ukro-atlantistes ont payé un prix très cher pour chaque portion de terrain conquise, notamment par les tirs de barrage de l'artillerie et les attaques aériennes russes renforcées par l'arrivée des drones iraniens. Sachant que l'Etat Major ukrainien a jeté dans ces offensives la majorité de ses réserves opérationnelles, il risque de se retrouver en situation délicate devant a prochaine offensive russe.
- A ce rapport des pertes défavorable pour Kiev se rajoute la dispersion de ses forces sur des secteurs sans lignes de défense solides ni coupures naturelles ou urbaines importantes permettant d'organiser rapidement des résistances. Alors que de puissantes forces russes s'accumulent à Belgorod face au front Nord, et en Crimée face au front Sud, l'Etat-Major ukrainien envoie en urgence les dernières réserves peu formées de la ville de Kiev vers Kharkov et renforce les défenses de Nikolaïev et Odessa.
Aujourd'hui, même si la menace d'une nouvelle offensive ukrainienne reste présente (sur le front de Zaporodje par exemple) je pense que l'objectif de l'Etat Major ukro-atlantiste est de capitaliser les gains territoriaux obtenus en espérant que le climat (de fortes pluies ont déjà gonflé les rivières et ramolli la steppe) dissuade l'Etat-Major russe de mener une offensive pendant la saison hivernale. Mais, pour n'évoquer que les attaques russes de février et mars on peut observer que la raspoutitsa, même si elle handicape effectivement les mouvements blindés et logistiques, n'est pas rédhibitoire à une offensive en "terrain souple".
Ces succès ukro-atlantistes, tactiques sur le front Sud et stratégiques sur le front Nord vont très certainement s'essouffler rapidement et devenir le chant du cygne d'une armée en pleine hémorragie. Les aides militaires de l'OTAN auront beau faire des dégâts incontestables aux forces russes, la guerre est d'abord un rapport de forces et de volonté humaines dont seule une stratégie d'engagement direct et massif des forces occidentales pourrait espérer relever le défi. Le nouveau refus poli de l'OTAN et de l'UE de voir l'Ukraine intégrer l'alliance atlantique montre bien la frilosité (augmentée par la pénurie de gaz ! :)) des occidentaux à envoyer leurs soldats mourir pour la gloire de Bandera. Mais, avant de déménager dans son bunker, Zelensky a encore le droit de rêver !
Cela dit, il serait quand même temps, maintenant que les territoires du front sont sanctuaire fédéral, que l'Etat Major russe "se sorte les doigts du c..." !
Le front ukro-atlantiste du Donbass craque
Si sur les fronts Nord et Sud ce sont les forces ukro-atlantistes qui progressent, en revanche, sur le front central, entre Artemovsk et Donetsk (voir première carte), ce sont les forces russes qui sont parvenues ces derniers jours à briser de nouvelles défenses ennemies pourtant solidement organisées depuis longtemps.
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Forces spéciales du groupe Wagner en progression dans les quartiers d'Artemovsk |
1 / Sur le secteur d'Artemovsk (Bakhmut)
Depuis 2 mois les forces républicaines avec les unités d'assaut du groupe Wagner mènent des assauts têtus et couteux contre les fortifications ukrainiennes réalisées dans les villes industrielles de Soledar et Artemovsk, entre Gorlovka et Lisichansk. La mort au combat du commandant de secteur du "groupe "Wagner" Oleksii Nahin, indicatif "Terek", lors d'une attaque menée le 20 septembre témoigne de la violence des combats autant que du courage des forces russes montant inlassablement à l'assaut des bunkers ukrainiens.
Lisière de Artemovsk après 2 mois de combats
Début septembre, les forces de Kiev ont également engagé dans ce secteur clef d'Artemovsk-Soledar défendant Slaviansk et Kramatorsk (20 km au Nord-Ouest) des offensives contre les forces russes et qui ont été repoussées en leur faisant subir de lourdes pertes.
Infographie du réseau "Rybar" concernant
la situation sur le front d'Artemovsk / Soledar.
Dans la foulée de l'échec des attaques ukrainiennes les forces russes ont engagé une nouvelle série d'assauts sur la garnison affaiblie de Artemovsk, jusqu'à prendre pied dans son tissu urbain et y engager de violents combats contre des forces de Kiev désorganisées.Groupe Wagner au combat devant Artemovsk
Les assauts russes, emmenés par les unités Wagner spécialisées dans le combat en zone urbaine ont réussi enfin à casser les lignes de défenses fortifiées ukrainiennes, grâce à l'appui décisif des unités d'artillerie de la République Populaire de Lougansk qui en augmentant leur mobilité et leur dispersion ont su rendre inefficace le travail des HIMARS étasuniens déployés en défense de Slaviansk et Kramatorsk.
L'artillerie de la République Populaire de Lougansk
appuie avec ses Lance Roquettes Multiples de 122mm
"Grad" l'assaut des groupes Wagner sur Artemovsk.
Dépités par l'échec sanglant de leurs attaques vers l'Est, les forces ukrainiennes complétement désorganisées et dépourvues de renforts suffisants (ce derniers ayant été dédiés à l'offensive Nord) ont commencé à se retirer de certains quartiers d'Artemovsk / Soledar où cependant les combats continuent.
Retraite des unités ukrainiennes d'Artemovsk
"Nous quittons l'enfer, deux jours sans eau,
sans communication et sans nourriture."
Les progressions se poursuivent de combat de rue en combat de maison, dans Soledar et Artemovsk, mais aussi à l'entour comme à Dibrovo, un gros village libéré par les cosaques du 208e régiment de cosaques.
Ce secteur est à surveiller particulièrement car si la percée russe est consolidée et poursuivie vers Slaviansk ou, plus au Sud Konstantinovka, elle pourrait fragiliser et même remettre en question tous les efforts ukrainiens au Nord de la rivière Donets, car elle menacerait, cette fois par le Sud le bastion de Slaviansk / Kramatorsk où, je le rappelle est positionné le coeur du corps de bataille ukro-atlantiste dans le Donbass sans que puisse encore apparaître le sort final de cette nouvelle bataille.
2 / Sur le secteur de Donetsk
Plus au Sud, sur le front de Donetsk, les forces russes continuent également de mener des assauts sur les fortifications des bastions de Marinka, Krasnogorovka et Avdeevka, qui sont les positions les mieux organisées (depuis 8 ans) et défendues du front ukrainien du Donbass et derrière lesquelles sont positionnées les unités d'artillerie ukro-atlantistes tuant quotidiennement les civils de Donetsk.
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Chaque jour les obusiers de l'OTAN massacrent des civils au centre ville de Donetsk pourtant éloigné du front et vide de tout objectif militaire susceptible d'être ciblé par les forces de Kiev. |
La ville de Donetsk depuis 8 ans est enserrée au Nord et à l'Ouest par les forces ukrainiennes bombardant quotidiennement les positions mais aussi les quartiers résidentiels. Et depuis février, surtout avec l'arrivée démesurée des aides occidentales, les bombardements terroristes meurtriers sont en constante augmentation.
Pour libérer leurs territoires et éloigner l'artillerie ukro-atlantiste des populations civiles, les forces russes (milices locales, forces fédérales et volontaires), tout comme sur le secteur d'Artemovsk évoqué ci dessus, mènent des bombardements et des assauts permanents sur les positions ennemies.
Localisation des combats sur le front de Donetsk au 5 octobre 2022
Mi-août, dans des combats acharnés, les forces alliées avaient réussi à prendre le contrôle du village de Peski, sur les lisières Nord de Donetsk et qui est un poste avancé de le défense extérieure du bastion ukrainien d'Avdeevka et de ses dernières routes d'approvisionnement. La défense de Kiev est depuis organisée sur une ligne de défense Sud Pervomaïske- Vodyane-Opitnoe. Depuis cette semaine et dans le prolongement de leur saillant réalisé, les forces russes ont engagé une offensive sur Pervomaïske.
Infographie du réseau "Rybar" concernant
la situation sur le front d'Avdeevka - Peski.
La difficulté de ce secteur est qu'il impose un corridor urbanisé et bordé d'étangs empêchant de déployer un dispositif d'assaut en ligne. A la sortie de Peski se trouve un ensemble de ponts et carrefours routiers battus par les feux ukrainiens et qu'il est nécessaire de neutraliser avant de lancer un assaut terrestre vers Pervomaïske.
La zone de défense ukrainienne à franchir, entre
Peski (russes) et Pervomaïske (ukrainiens).
La plupart des tirs de l'artillerie russe sont dirigés vers ce front au Nord de Donetsk près duquel se croisent les véhicules militaires et les ambulances. Les combats continuent pour le contrôle de Pervomaïske et je ne peux que regretter une fois encore que des propagandistes se précipitent pour annoncer que cette localité est déjà libérée (certainement pour contrebalancer les succès ukrainiens ailleurs), tandis que leurs homologues ukro-atlantistes annoncent de leur côté que ses défenses kiéviennes ont écrasé les assauts russes.
Quand est-ce que ces courtisans quitteront leurs fauteuils et leurs fantasmes de trolls pour comprendre que la guerre n'est pas un jeu vidéo et que l'information n'est pas un marchepied pour se faire remarquer et mousser auprès des princes ?
J'ai en revanche un profond respect pour ces soldats de l'information qui, en permanence aux côtés des soldats, "mouillent leur treillis" et parfois de leur sang pour rendre compte de la situation réelle du terrain.
Champ de bataille entre Peski et Pervomaïske
Le dirigeant tchétchène, Ramzan Kadyrov vient d'être promu au grade de colonel général, le 3ème grade le plus élevé des forces armées russes, au lendemain de ses vives critiques à l'encontre du haut Etat Major russe, une manière indirecte pour le président Vladimir Poutine d'acter les observations de son "fidèle fantassin". La défaite subie à Krasni Liman, parce qu'elle était évitable, est certainement "la goutte qui a fait déborder le vase" de cet atavisme momifiant trop souvent le commandement des corps d'armées et armées engagés dans une impéritie rigide et irresponsable incapable d'anticiper et de s'adapter en dehors des procédures écrites dans des manuels poussiéreux.
Et sur le terrain le courage exceptionnel des soldats et officiers de terrain russes rejoints par les premiers mobilisés, montre au Chef que son outil de combat réel est efficace et mérite juste aujourd'hui des moyens adaptés, des généraux audacieux et des ordres vifs à la hauteur de leurs qualités.
En cela, je ne raconte rien d'autre que cette histoire qui se répète à chaque entrée dans un nouveau type de guerre : les manuels de combat s'écrivent et se réécrivent sans cesse sur le champ de bataille avec la sueur et le sang des soldats et il faut virer ceux qui s'endorment sur les éditions poussiéreuses des doctrines, des certitudes et des paresses humaines.
Les renforts, les mobilisés expérimentés mais aussi des volontaires arrivent chaque jour pour se porter sur le front et défendre la Russie.
Erwan Castel
Parachutistes russes