La bataille de Severodonetsk commence
- Avdeevka / Vasilievka (front de Donetsk) : environ 4000 soldats ukrainiens
- Svetlodarsk (front de Gorlovka) : environ 3000 soldats ukrainiens
- Zolotoe / Gorskoe (front de Lougansk) : environ 3000 soldats ukrainiens
- Severodonetsk / Lisichansk (front de Kramatorsk) : environ 15 000 soldats ukrainiens
Présentation du front Nord du Donbass
Pour comprendre l'importance stratégique de la zone urbaine Severodonetsk / Lisichansk il est nécessaire de rappeler la configuration de ce front Nord du Donbass où 3 secteurs sont à distinguer : Kramatorsk, Severodonetsk et Popasnaya avec comme dénominateur commun la rivière Donets qui est juste en retrait de la ligne de contact jusqu'à devenir l'enjeu principal des offensives russes comme des défenses ukrainiennes.
- Au Nord-Ouest, si les forces russes semblent avoir mis en pause leur progression vers Barvinkove (suite aux attaques ukrainiennes à l'Ouest de Izioum), en revanche de violents combats continuent au Nord du secteur de Slaviansk / Kramatorsk où l'encerclement serré autour de Krasni Liman (carrefour important au Nord de Slaviansk) est en cours d'achèvement.
- Au Nord-Est, devant les progressions russes au Nord et au Sud du secteur Severodonetsk / Lisichansk, les forces ukrainiennes ont abandonné sur son flanc Est leurs avants postes extérieurs pour se replier dans les faubourgs de Severodonetsk. Plusieurs ponts ont été détruits à l'Ouest de ce secteur pour tenter de freiner son encerclement par le Nord.
- Au Sud-Est, après la conquête de Popasnaya par les forces russo-républicaines, le ligne de front ukrainienne s'effondre, au Nord et au Sud de cette ville qui ouvre désormais à l'offensive alliée le chemin vers Artemovsk, un important carrefour routier et ferroviaire approvisionnant les secteurs de Severodonetsk / Lisichansk au Nord et Svetlodarsk / Gorlovka au Sud.
Deux villes siamoises et une rivière
Les villes de Severodonetsk et Lisichansk sont les 2 dernières villes de la République Populaire de Lougansk encore occupées par des forces ukrainiennes dont les deux garnisons réunies sont estimées à 15 000 hommes environ dont plusieurs bataillons de nationalistes radicaux. Elles sont séparées par la rivière Donets dont la majorité des ponts ont été détruits pour former une ligne de défense qui se confond aujourd'hui avec le front de Kharkov jusqu'à Popasnaya.
Peuplées chacune d'un peu plus de 100 000 habitants elles sont la concentration industrielle la plus importante de la République Populaire de Lougansk avec notamment une production de charbon (Lisichansk) et une production chimique (Severodonetsk). A l'été 2014, ces 2 villes ont été le théâtre de violents combats à l'issue desquels elles sont tombées sous le contrôle de Kiev et notamment du bataillon spécial "Aïdar" qui va y ouvrir sa longue liste de crimes de guerres. Le siège administratif ukrainien de la région occupée de Lougansk s'installe à Severodonetsk.
La plus grande usine chimique d'Europe
Tout comme Marioupol qui abrite la plus grande aciérie d'Europe ("Azovstal"), on trouve à Severodonetsk un autre monstre industriel de l'époque soviétique avec l'usine de production chimique "Azot" située elle aussi au coeur de la ville. Aujourd'hui cette usine «Severodonetsk Azot Association» inaugurée en 1951 appartient depuis 2011 au groupe industriel OSTCHEM qui a modernisé ses installations et augmenté ses productions.
Les principales productions chimiques de cette usine sont :
- Ammoniac liquide: 1 020 000 tonnes par an
- Nitrate d'ammonium: 550 000 tonnes par an
- Urée: 390 000 tonnes par an
- Méthanol: 190 000 tonnes par an
- Acide acétique: 150 000 tonnes par an
- Ammoniac aqueux: 60 000 tonnes par an
Cette usine qui était le leader ukrainien de la production d'acide acétique, de méthanol et d'acétate de vinyle en Ukraine (12,1 milliards de hyvrnias de ventes entre 2012-2014 vers 129 pays) emploie plus de 6000 personnes et si la superficie de son site est plus petite que celle d'Azovstal à Marioupol, en revanche elle présente, par la nature toxique de ses produits une menace majeure dans un environnements de combats et bombardements.
Un encerclement long et prudent
Si la quasi totalité du territoire de la République Populaire de Lougansk occupé par Kiev a pu être libéré rapidement du fait de la configuration majoritairement agricole aux petits villages indéfendables, en revanche une forte résistance ukrainienne s'est fait sentir à l'approche de la rivière Donets, essentiellement due à:
- Un relief de collines boisées favorisant les combats de freinage et les embuscades
- Un tissu urbain et industriel dense permettant la réalisation de bastions défensifs
- Un rivière aux berges soit escarpées soit inondées freinant la progression
- Une concentration d'unités appartenant au dispositif central du corps de bataille ukrainien.
La bataille de Severodonetsk a commencé
Dans la manœuvre d'encerclement du secteur de Severodonetsk / Lisichansk, les positions d'artillerie ukrainiennes sont préalablement repérées et détruites pour éviter des tirs de barrage, comme ceux qui ont bloquer le franchissement de la Donets le 9 mai dernier (voir § suivant). Une fois encore les drones d'observation montrent quelle révolution ils ont opéré dans la conduite des opérations de l'artillerie, repérant précisément les cibles et corrigeant ensuite les tirs des batteries.
Dans leurs progressions offensives sur la périphérie de Severodonetsk les unités d'assaut russo-républicaines ont engagé les premiers combats contre les forces ukrainiennes retranchées dans la ville.
Tout comme à Marioupol, Izioum ou Popasnaya, les unités régulières russes et républicaines (ici de Lougansk) reçoivent en renfort des unités spéciales tchétchènes spécialisées dans le combat en zone urbaine. Apres presque 3 mois de collaboration, les forces libérant le Donbass ont de plus en plus l'apparence d'une fraternité d'armes internationale et de plus en plus aguerrie.
Le 19 mai le 208e régiment cosaque, avec l'appui de la 7e brigade, a conquis Shchedrishchevo en périphérie Nord de Severodonetsk et poursuit sa progression vers la banlieue de la ville.
Que s'est-il passé à Belogorovka ?
La revanche du côté de Popasnaya !
Les forces ukrainiennes sont aux abois
Malgré le coup de Belogorovka, Severodonetsk et Lisichansk sont aujourd'hui prises dans un étau opératif russe qui risque avant l'été de les isoler complétement, La première qui va encaisser le choc des unités d'assaut russo-républicaines (et par 3 côtés à la fois !) c'est Severodonetsk. Soit sa garnison tentera de s'y maintenir et d'engager une résistance la plus longue possible, soit elle se replie sur Lisichansk pour y renforcer une garnison plus importante et l'accès aux routes venant de Slaviansk et bénéficier de la portée des appuis d'artillerie du groupe de défense de Kramatorsk qui pourrait réaliser des tirs de barrage sur les forces russes à l'Ouest de
Le ravitaillement des forces ukrainiennes de Severodonetsk et Lisichansk est de plus en plus réduit du fait des attaques rapides possibles de l'aviation de combat dont les aérodromes sont proches de cette région limitrophe mais aussi du fait de la percée réalisée de Popasnaya qui place la route de ravitaillement de Konstantinovka (Bakhmut pour les ukrainiens) à Lisichansk sous le feu de l'artillerie russe. Cet aspect logistique est confirmé par la vidéo d'une section du 3ème bataillon de la 115e brigade ukrainienne basée à Severodonetsk et dont les soldats déclarent dans un message adressé à Zelensky et Zaluzhny (cdt des forces armées ukrainiennes) :
- "Nous refusons d'effectuer des missions de combat parce que nous n'avons pas de renforts à l'arrière. Pas d'équipement lourd. Nous attendons des renforts depuis deux semaines, mais il n'y en a pas. Nous sommes envoyés à une mort certaine. La commande est manquante. Il n'y a pas de technologie et de respect des personnes. Nous ne refusons pas de défendre l'Ukraine, mais dans ces conditions nous refusons de mener des missions de combat !"
Le fantasme des armes occidentales
Bombardement d'un obusier étasunien de 155mm M777 sur le front Nord du Donbass |
Si les unités ukrainiennes engagent des résistances urbaines désespérées face aux offensives russo-républicaines ce n'est pas tant pour défendre leur honneur que pour gagner du temps, espérant que les aides militaro-techniques occidentales inondant le champ de bataille parviendront à inverser le cours de la guerre.
Chars de combat, Mig 29, missiles antiaériens et antichars, obusiers, radars, drones, véhicules blindés, munitions etc venant des USA, de Grande Bretagne, du Canada, d'Australie, d'Allemagne, de France et autres laquais de l'OTAN... toutes ses livraisons apportent surtout du rêve aux ukrainiens et des soutires aux capitaines de l'industrie de l'armement occidentale.
Certes il faut ici ne pas sombrer comme certains dans le ridicule propagandiste qui annonce que les Javelin ne fonctionne pas, que les chars et obusiers sont détruits avant d'arriver sur la ligne de front (même si beaucoup sont effectivement détruits en route) et autres fadaises manichéistes qui relèvent d'autres fantasmes aussi puérils que débiles.
- Oui, les aides occidentales vont causer des pertes aux forces russes et républicaines,
- Non, elles n'éviteront pas la défaite de Kiev rallongeant juste la durée de ses pertes.
Personnellement ce sont les armes antichars ou antiaériennes occidentales à missiles autoguidés (Javelin et NLAW - Stinger et Starstryker)) qui représentent la menace la plus sérieuse pour les forces russes et elles l'on déjà prouvé depuis le 24 février, mais sans toutefois permettre des contre-offensives ukrainiennes (je rappelle que les forces russes ont décidé de quitter le secteur de Kiev et non pas devant une contre-offensive ukrainienne).
Il y a aussi les obusiers automoteurs ou tractés de 155mm qui peuvent également causer quelques soucis aux offensives russo-républicaines d'une part avec leur portée rallongée qui peut les placer au delà des portées des tirs de contre batteries et d'autre part avec leur précision et munitions guidées qui peuvent cibler des centres de commandement et logistiques.
Cependant, et contrairement aux missiles portatifs évoqués plus haut, ces pièces d'artillerie sont plus facilement repérables et donc vulnérables aux attaques des missiles, drones et chasseurs bombardiers russes. Et l'espérance de vie des cadeaux de Biden une fois arrivées sur le front du Donbass n'excède pas une semaine :
Tandis que les forces ukrainiennes continuent de jouer la carte de l'attrition en s'enfermant dans des bastions défensifs dont Kiev espère que chacune de leur capture soit une victoire à la Pyrrhus pour Moscou, les forces russes et républicaines continuent leur stratégie de manœuvre mais en donnant une priorité à l'économie des forces pour justement ne pas tomber dans le piège des coûteuses victoires urbaines menées trop rapidement.
Erwan Castel