Fin de mission
204 |
Par l’œil plissé d'un mur renforcé de "Forteruine" la gueule d'un fusil à lunette renifle l'horizon menaçant |
Ce matin du 23 août 2018 nous avons repris le chemin vers la base de la brigade située aux portes de Makeevka (Nord Est Donetsk), pour quelques jours de repos avant une nouvelle rotation sur Promka.
La semaine écoulée, bien qu'émaillée de tirs réguliers de la part des forces ukrainiennes, fut globalement calme et nous a laissé loisir de poursuivre les travaux d'amélioration de notre réseau de tranchées
Jeudi 23 août 2018
Ici, les hommes sont au fil des mois devenus des taupes, creusant sans relâche des tranchées que des couvertures de rondins et de terre épaisses métamorphosent rapidement en galeries obscures. Les réseaux de tranchées et de casemates enterrées ressemblent à des toiles d'araignées qui s'étendent sans cesse dans le paysage poussant les rets au plus près de la ligne opposée. Les distances entre belligérants ne cessent de s'amenuiser et les dispositifs de se renforcer. Désormais les éphémères postes d'observation occupés hier par des observateurs discrets et silencieux sont devenus des bunkers épais et arrogants aux ouvertures régulièrement éclairées par les bouches à feu d'armes aboyantes.
Jaillissant du sol une pelletée de terre marque l'avancée d'une tranchée complétant notre dispositif de défense et répondant à celles que l'ennemi ouvre également de son côté |
Parfois il me semble être dans un shaker ou sont mélangées "la guerre des tranchées" de 14-18, "la drôle de de guerre" de 40 avec un zeste de "Désert de Tartares" de Buzatti. Les jours se suivent dans l'immobilité d'un front mais sans jamais cependant se ressembler.
Destruction d'un obus en secteur ukrop |
Parfois une rafale d'arme automatique ou une grenade à fusil éclatent, jetant leurs filets d'acier contre nos murs ou au dessus de nos têtes. Un autre jour ce sont des explosions signalant le travail de sapeurs ennemis détruisant des obus non explosés. C'est un bruit de moteur ou de chenilles, un cri ou une insulte qui s'envolent vers nous rappelant cette menace humaine.
Brèves fulgurances tendant les corps et captant les sens avant de laisser revenir la routine des surveillances, des repos et des services.
La prudence, les défenses sans cesse renforcées ont rendu les hommes invisibles aux autre malgré des proximités parfois inférieures à 100 mètres. Ici et là surgissent cependant comme des flashs rares dans le paysage des silhouettes fugitives de casques, d'armes ou de bras bougeant derrière l’œil d'une casemate ou sur l'épaule d'un parapet.
Et si l'inconscience, la fatigue ou la témérité de l'imprudent donne quelques secondes de vie à ces apparitions faisant trembler l'immobilité du paysage, alors aboie dans le silence une bouche à feu qui rappelle au soldat la mortelle occupation des snipers toujours embusqués aux horizons du chaos.
La Nature heureusement chaque jour nous rappelle aussi par la beauté de ses feux solaires ou le chant des ses oiseaux qu'au delà de cet enfer dantesque vivent l'espérance, la forêt sacrée, la femme aimée, l'enfant chéri... toutes ces "Béatrice" pour qui le Soldat se bat pour prolonger leur existence dans la liberté de son amour.
Erwan Castel
Coucher de soleil par delà les postions ennemies sur un front silencieux et figé |