La guerre est toujours là
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Entre 2 rotations sur le front de Promka, je profite pour me reposer entre la caserne, Donetsk et Oktyabrsky où chaque soir la guerre n'oublie de fairte entendre ses halètement de bête rampante aux lisières de "Volvo Center", ce quartier Ouest d'Oktyabrsky qui fait face aux ruines de Peski occupées par une armée ukrainienne qui, depuis 4 ans, continue quotidiennement à bombarder les positions républicaines défendant le Nord de Donetsk.
Lundi 4 février 2019
Lorsqu'on traverse la nuit ce quartier silencieux aux rues désertes bordées par les fantômes de maisons vides, les lumières se font de plus en plus rares au fur et à mesure que l'on s'approche de cette rue "Stratanovtov" qui borde comme une digue meurtrie par des vagues d'acier la lisière Nord de ce quartier entourant le squelette dantesque de l'aéroport Prokoviev, achevé juste avant la guerre et qui était le symbole et la fierté de la prospérité du Donbass.
Un peu plus loin dans ma rue, la neige découpe dans la nuit 2 silhouettes aux mégots rougis qui piétinent devant un camion militaire d'où viennent d'être déchargés des ravitaillements pour une unité dont la base arrière occupe une maison abandonnée à quelques minutes de marche des premières positions défensives qui surveillent un horizon d'où s'échappent parfois les toussotements sourds et lueurs brèves d'une menace ukrainienne qui jamais ne se repose.
Si le front est en ce moment relativement calme sur le secteur tenu par le bataillon entre Yasinovatay et Avdeevka, en revanche mon repos est régulièrement interrompu par des tirs de mortiers en provenance de Peski, et dont je trouve dès le lendemain des traces visuelles récupérées sur les réseaux sociaux ukrainiens eux-mêmes:
Bombardement d'une position républicaine
observée par un drone ukrainien utilisé pour
l'observation et la correction de l'artillerie
Le fait est que les "ukrops" violent le cessez le feu en moyenne une quinzaine de fois par jour, maintenant à coup de lance grenades et mortiers, une pression minimale sur le front et qu'ils s'empressent de développer dans des communiqués de propagande d'un commandement , tentant, par des perfusions d'images et de résultats fantasmés, à remonter le moral d'une "Opérations des forces combinées" agitée par des désertions et mutineries.
Au matin, le gel a cristalliser la neige sur les chemins et les arbres sous la patience desquelles la sève porte les premiers frémissements du printemps. J'écourte mon repos pour rencontrer un journaliste russe et surtout finaliser avec une paperasserie qu'une bureaucratie boulimique et stérile ne cesse de réclamer toujours et encore depuis des mois.
Chez moi "Ludu" la petite boule de poils qui garde la vive la bonne humeur de la maisonnée ne cesse de grandir dépassant après quelques mois seulement sa mère qu'Anastassia, une grand mère voisine m'avait offert en remerciement au printemps 2017. Entre le front et la maison, les chats sont toujours là, compagnons à la fois indépendants et fidèles et qui font oublier en silence le vacarme de cette guerre qui sans se montrer vraiment, jamais ne cesse autour de nous.
Retour à la caserne, pour les services et aussi regarder par cette petite fenêtre virtuelle, les spasmes du monde moderne, du Donbass au Venezuela qui est aujourd'hui à nouveau dans le collimateur de la horde occidentale, en passant par la Syrie, toujours et sans oublier les "Gilets jaunes" qui entament leur 3ème mois de revendication.
Difficile de sortir de cet effondrement ambiant dans lequel je me suis immergé il y a exactement 4 ans et pourtant que ne donnerais-je pas pour admirer à nouveau et sans modération la danse d'un papillon rendant hommage à la beauté d'une orchidée tandis qu'un soleil matinal déchirant la brume tropicale vient couronner, au cœur de la forêt guyanaise, un inselberg ruisselant de légendes.
De la Bretagne au Donbass, en passant par la Birmanie et la Guyane, tous ces engagements au cœur des passions humaines et des horizons du Monde fermentent lentement en moi sans que je saches précisément ce qu'il en ressortira encore même si les contours d'une misanthropie désespérée se précisent tout autant que mon amour pour la Nature et la Tradition qui en est l'intime dialogue dans les cœurs des Hommes et des dieux.
Un "vraoum", à peine amorti par la neige retentit à proximité faisant trembler les vitres de la façade Nord de la maison, et réveiller un chien qui répond au mortier ukrainien par des aboiements énervés et apeurés, prolongeant la brisure du silence nocturne.
Erwan Castel
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