Un athanor de pierre
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Depuis le début de la semaine, un orage vespéral vient quotidiennement nous visiter, rompant la monotonie d'un front globalement calme en journée, et nous conditionne par ses craquements tournoyant dans son ciel couleur acier aux traditionnels bombardements et tirs nocturnes ukrainiens.
Dans une lumière de fin du monde griffée par la foudre, les ruines lavées de Promka semblent des vaisseaux de pierre pris dans la houle d'une terre retournée mille fois par la guerre
Dans mes carnets, cette bâtisse industrielle je l'ai baptisé affectueusement "Forteruine", tant sa silhouette décharnée me rappelle celles des forteresses médiévales survivant aux outrages de la guerre et du temps et qui offrent au regard du marcheur un livre d'histoire écrit dans la pierre par la fureur de l'acier.
Avec certains de mes camarades, cela fait plus de 8 mois que nous défendons sur le front de Yasinovataya cette position autour de laquelle s'est creusé dans la terre noire du Donbass un labyrinthe de tranchées nous reliant aux positions voisines tenues par notre bataillon ou d'autres bataillons assignés à la défense Nord de Donetsk.
A proximité de "Forteruine", dans les décombres d'une datcha bombardée un journal de 2014 retrouvé au titre prémonitoire ("La guerre à nos portes") |
Avant que les orages d'acier ne viennent transformer cette zone industrielle de Promka en champ de ruines, la vie foisonnait et riait ici, entre les entreprises, les commerces, les datchas, et même quelques fermes autour de terrils et cheminées bornant l'horizon.
Aujourd'hui, même les dieux semblent avoir abandonné ce chaos indescriptible au milieu duquel des hommes, séparés seulement de quelques centaines de mètres, se battent depuis plus de 4 ans.
Depuis que les accords de paix signés à Minsk ont transformé ce conflit en guerre de position, ici, au milieu de nulle part, l'Homme, la terre et la pierre fusionnent dans un décor figé où seules les danses du du soleil et de la lune, des oiseaux et des faisans ou de la neige et de la poussière rappellent aux combattants la meule du temps et de la vie.
"Forteruine" au fil des rotations est devenue notre sanctuaire, un roc que nous soignons attentivement au milieu des tempêtes de feu et d'acier qui s'abattent quotidiennement sur elle. Ce bâtiment industriel s'est métamorphosé depuis 4 ans en abri fortifié qui, à partir de son premier étage supérieur n'est plus qu'un enchevêtrement de poutrelles tordues, de pierres effondrées et de ferailles hirsutes devenu au fil du temps notre exo-squelette.
A l'abri des murs renforcés par des centaines de sacs de sable et une forêt de piliers en bois, nous vivons en autarcie au milieu de nos caisses de munitions et de conserves alimentaires, dans ce microcosme étrange dessiné par la mitraille. Au coeur du vaisseau de pierre, le feu de bois crépite, coiffé tantôt d'une bouilloire tantôt un chaudron quo offrent autour de lui du thé et de la soupe. L'âtre retrouve ici sa fonction ancestrale du point de ralliement social où rires et cigarettes sont échangées loin de la guerre qui griffe pourtant les murs a l'entour et déchire les sacs colmatant leurs brèches.
Mais, au fur et à mesure que l'on s'éloigne du feu sacré, traversant seulement les quelques mètres de couloirs obscurs d'où s'échappent à notre approche des rongeurs prudents, les soldats, qu'habille un silence progressif, changent d'atmosphère.
Ici, aux créneaux de forteruine l'Homme devient silence et pierre tandis que tout son être s'articule et se tend autour de ses sens en alerte. Au delà des meutrières s'étend l'inconnu où dans d'autres tranchées et casemates semblables aux nôtres se terre l'ennemi, d'autres hommes avec qui nous partageons cette exclusivité humaine d'être à la fois chasseur et gibier.
Dans la solitude de la sentinelle, les pensées souvent vagabondent dans le silence vers des souvenirs ou des rêves heureux devenus lointains mais qui continuent à tenir compagnie au coeur assoiffé d'espérance.
Mais dès lors qu'un mouvement anime le paysage enfermé dans le réticule, qu'un roulement de gravat dérange le chaos du glacis, qu'un bourdonnement intrusif de drone se mêle à celui des mouches, qu'un tir fasse trembler l'air ou les plafonds... aussitot la main reprend sa pression sur l'acier froid de l'arme.
Aujourd'hui, même les dieux semblent avoir abandonné ce chaos indescriptible au milieu duquel des hommes, séparés seulement de quelques centaines de mètres, se battent depuis plus de 4 ans.
Depuis que les accords de paix signés à Minsk ont transformé ce conflit en guerre de position, ici, au milieu de nulle part, l'Homme, la terre et la pierre fusionnent dans un décor figé où seules les danses du du soleil et de la lune, des oiseaux et des faisans ou de la neige et de la poussière rappellent aux combattants la meule du temps et de la vie.
Par une embrasure ouverte par un bombardement le paysage abandonné de Prpmka et l'horizon au delà duquel la vie continue à Donetsk. |
A l'abri des murs renforcés par des centaines de sacs de sable et une forêt de piliers en bois, nous vivons en autarcie au milieu de nos caisses de munitions et de conserves alimentaires, dans ce microcosme étrange dessiné par la mitraille. Au coeur du vaisseau de pierre, le feu de bois crépite, coiffé tantôt d'une bouilloire tantôt un chaudron quo offrent autour de lui du thé et de la soupe. L'âtre retrouve ici sa fonction ancestrale du point de ralliement social où rires et cigarettes sont échangées loin de la guerre qui griffe pourtant les murs a l'entour et déchire les sacs colmatant leurs brèches.
Mais, au fur et à mesure que l'on s'éloigne du feu sacré, traversant seulement les quelques mètres de couloirs obscurs d'où s'échappent à notre approche des rongeurs prudents, les soldats, qu'habille un silence progressif, changent d'atmosphère.
Prolongement amplifiant du regard l'optique seconde le travail de la sentinelle et lui permet de fouiller les moindres recoins du terrain. |
Ici, aux créneaux de forteruine l'Homme devient silence et pierre tandis que tout son être s'articule et se tend autour de ses sens en alerte. Au delà des meutrières s'étend l'inconnu où dans d'autres tranchées et casemates semblables aux nôtres se terre l'ennemi, d'autres hommes avec qui nous partageons cette exclusivité humaine d'être à la fois chasseur et gibier.
Dans la solitude de la sentinelle, les pensées souvent vagabondent dans le silence vers des souvenirs ou des rêves heureux devenus lointains mais qui continuent à tenir compagnie au coeur assoiffé d'espérance.
Mais dès lors qu'un mouvement anime le paysage enfermé dans le réticule, qu'un roulement de gravat dérange le chaos du glacis, qu'un bourdonnement intrusif de drone se mêle à celui des mouches, qu'un tir fasse trembler l'air ou les plafonds... aussitot la main reprend sa pression sur l'acier froid de l'arme.
"Rex", un vétéran des premiers combats, venu rejoindre les rangs de Piatnashka pour remplacer son fils "Pauk" tué ici le 5 décembre dernier. |
Dans cet univers si difficile à décrire où les fantômes des camarades tués au combat hantent toujours dans nos mémoires les lieux de leur sacrifice, l'âme des vivants, dans leur danse quotidienne avec la Mort, fermente et se transforme.
Quelle sera t-elle demain aux lendemains de la tourmente ?
Nul ne peut le savoir mais déjà ont changé les regards intérieurs des uns et des autres ces regards sur la vie dont la flamme brille dans la prunelle des yeux et qui visitent le domaine des dieux.
Nul ne peut le savoir mais déjà ont changé les regards intérieurs des uns et des autres ces regards sur la vie dont la flamme brille dans la prunelle des yeux et qui visitent le domaine des dieux.
Car la vie apparaît différente pour ceux qui sortent de ces athanors de guerre, les choses essentielles, souvent les plus simples de l'existence ainsi que le sens sacré qui les lie entre elles reprennent alors leur juste place dans le coeur de l'Homme.
Erwan Castel
Perçant les lézardes des murs, le soleil éclaire de ses doigts de lumière les rêves que les hommes défendent ici pour offrir à leurs enfants une liberté et un héritage millénaire. |
Les autres extraits de ce journal du front peuvent être retrouvés ici : Journal du front