Point de situation Ukraine / Donbass

Porochenko tenu en laisse par ses chiens 

Soldats de l'ATO envahissant le parlement ukrainien pour demander le départ du gouvernement Porochenko

Malgré une poursuite de la pression militaire ukrainienne par des bombardements quotidiens, la situation sur la ligne de front semble aujourd'hui suspendue aux conséquences d'un blocus qui vient de se durcir et qui risque dans les prochains jours de provoquer des séismes politiques en Ukraine. En attendant, les contrôles draconiens mise en place sur la ligne de front impose sur les passages de une situation extrêmement difficile pour la population qui doit la traverser régulièrement, comme ici par exemple au Sud Donetsk, le 13 mars dernier. 

Au Sud de Donetsk, à Elenovka, dernier village républicain 
avant le point de contrôle de la route menant à Mariupol

D'un côté nous avons un "parti de la guerre" qui pousse le blocus jusqu'à la confrontation avec un gouvernement Porochenko qui tente de pour s'accrocher au pouvoir de "ménager la chèvre et le choux", en validant finalement le blocus pour éviter un affrontement frontal avec les ultra-nationalistes qui réclament chaque jour un changement de pouvoir. Ni les uns, ni les autres ne veulent réaliser un coup de force (répression policière ou coup d'état militaire) qui comme un troisième Maïdan seraient fatal à l'Ukraine et surtout les responsabiliserait.

Tout en évitant un coup d'état frontal et direct, les paramilitaires nationalistes ukrainiens ont réussi à s'imposer à nouveau sur la scène décisionnelle ukrainienne, dont le gouvernement est forcé pour s'y maintenir de jouer un jeu dangereux, comme en relâchant la bride d'un cheval fou menaçant de le désarçonner.

Le blocus est en train d'écarteler lentement via le front du Donbass une situation à Kiev déjà tendue au maximum et dont l'éclatement inévitable et proche doit être pour ses auteurs imputé à la Russie. Si les Républiques ont su jusqu'à aujourd'hui contenir seules les assauts ukrainiens, évitant à la Russie d'intervenir directement et de tomber dans le piège des provocations occidentales, le blocus les pousse plus encore à se tourner vers la Russie en provoquant des réactions de Moscou (reconnaissance des passeports, accords économiques, bancaires etc...) qui prolongent l'escalade militaire.

Karine Bechet-Golovko, analyse ici cette situation où un nouveau point de non retour a été franchi et qui enterre définitivement à la fois les accords de Minsk et l'hypothèse d'un statut ukrainien du Donbass...

Erwan Castel, volontaire en Novorossiya

Point de vue

Source de l'article : Russie Politics

L'Ukraine prend acte de la séparation du Donbass


La guerre en Ukraine vient encore une fois d'arriver dans une nouvelle phase, qui cette fois risque de durer longtemps. Ce n'est pas la fin de la guerre, mais c'est la fin d'une guerre. Chaque partie vient de reconnaître l'existence d'une frontière posée par les armes, qu'il devient très difficile de déplacer. Les conséquences économiques et politiques sont en train d'être tirées de part et d'autre, le divorce russo-ukrainien est consommé. 

Depuis le début du conflit, les relations économiques entre le Donbass et le reste de l'Ukraine ont permis de remplir le budget ukrainien et de faire travailler les habitants des jeunes républiques populaires. Les relations entre la Russie et l'Ukraine, si elles se réduisaient, continuaient quand même. Certes, les films russes étaient interdits, la littérature disparaissait des étales, la population devait être "dérussifiée". Mais les relations entre les oligarques de part et d'autre et le pays "ennemi" n'étaient pas rompues, simplement tues. Les banques russes fonctionnaient en Ukraine (et représentent environ 30% du marché bancaire), les oligarques ukrainiens gardaient des contacts avec la Russie, Akhmetov a, dit-on permis de fixer la ligne des  accords de Minsk aux portes de Mariupole. L'économie devait être, dans l'idée de ces pays nouvellement convertis au dogme libérale, le lien indestructible supérieur à la politique, même à la géopolitique. Les hommes d'affaires ayant besoin d'argent et de faire de l'argent, quoi qu'il se passe. Ils découvrent qu'il existe une force supérieure. La crise ukrainienne pourra servir, pour ceux qui ouvriront les yeux, à relativiser le poids de la toute liberté du business par rapport à la politique dans la logique occidentale.

Comme nous l'avions écrit à l'époque (voir ici), la fin de la phase offensive a commencé avec le départ de I. Strelkov et un jeu trouble est mis en place avec les hommes de R. Akhmetov. Depuis un pseudo cessez-le-feu meurtrier est mis en place et des accords de paix sont deux fois négociés, permettant principalement de justifier l'adoption de sanctions contre la Russie. Le dernier moment militairement fort est, en janvier 2015, la bataille de Debaltsevo  extrêmement symbolique, qui a montré la faiblesse de l'armée ukrainienne, mais également ici débute la période de l'équilibre des forces. Avec le temps, le Donbass a développé une stratégie défensive, les frontières n'ont pas beaucoup bougées, même si l'Ukraine a fait plusieurs tentatives. C'est ce que l'on a appelé "la guerre molle".

Cette stratégie a ses limites, des deux côtés. Elle coûte cher en hommes (surtout côté ukrainien), elle joue sur le morale et coûte cher tout simplement pour des résultats difficilement convertibles en capital politique. En revanche elle a permis à l'Ukraine, ou à ses tuteurs, de gagner le temps nécessaire pour tirer les conséquences militaires et politiques qui s'imposent.


Les conséquences militaires

Militairement, l'équilibre des forces est tel aujourd'hui, que lancer une offensive réelle obligerait de recourir à une véritable opération militaire, ce dont l'armée ukrainienne n'est pas capable. Ce qui donc, nécessiterait une implication trop franche des "tuteurs". Or, la communauté internationale ne peut aujourd'hui se le permettre, surtout lorsque l'image du pouvoir ukrainien commence à se détériorer dans l'opinion publique occidentale, malgré le renforcement de la rhétorique de la menace russe (voir notre texte ici).

Sur ce point, et Kiev et le Donbass sont arrivés à la même conclusion, même si par des voies différentes. En laissant le blocus du Donbass se développer, avec tout son attirail idéologique (on ne commerce pas avec l'ennemi), Poroshenko a voulu donner l'impression d'avoir laissé s'exprimer "la voix populaire" et c'est pourquoi après avoir soi-disant débloqué le Donbass, le SBU a annoncé hier la fermeture des routes et des voies ferrées. L'Ukraine a pris acte de son impossibilité militaire de reprendre le Donbass, de l'interdiction politique de noyer le Donbass dans le sang, elle le raye donc de la carte. Ce que, à sa manière, Poroshenko, déclare aujourd'hui:

Le blocus a détruit l'Ukraine dans le Donbass

La formulation est particulièrement forte, singulièrement violente. A la mesure de le situation. Acte a été pris. La réaction côté Donbass est également très forte. L'adoption de l'oukase par Zakharchenko fixant la frontière a lancé le mouvement de stabilisation, ou bien l'a entériné.



Il est vrai que la frontière renvoie à la ligne de front, ce qui peut laisser une ouverture, ce que revendique Zakharchenko: le combat n'est pas terminé, la frontière se déplacera avec la ligne de front de 10 ou 50 km s'il le faut, le Donbass n'a pas conclu d'armistice.


Ce qui n' a pas été fait avec Slaviansk en 2014, ne le sera pas maintenant, alors que les armées ont été "renforcées" de l'extérieur. Pas plus que l'Ukraine, le Donbass ne peut se permettre une boucherie à l'issue incertaine. La ligne est donc fixée pour un certain temps, même de part et d'autre les dirigeants peuvent le regretter.


Les conséquences politiques

C'est pourquoi, les conséquences ont également été tirées, de part et d'autre, sur le plan politique. Poroshenko a raison, les effets du blocus sont particulièrement dangereux pour l'Ukraine. Si ... si elle avait réellement l'intention de récupérer le Donbass. Or, il est maintenant évident qu'elle n'a pas besoin de ce Donbass. Et la bienveillance des autorités ukrainiennes, au-delà des déclarations, envers le blocus du Donbass est évidente. Lorsque cela est nécessaire, les forces de l'ordre ouvrent le feu, comme le 14 mars contre le député A. Parasiuk qui vient avec une colonne de fanatique remettre de l'huile sur le feu ... à un moment où le pouvoir a besoin de faire baisser un peu la pression, pour reprendre officiellement la main. Ces hommes armés sont arrêtés après le poste de contrôle de Slaviansk et la question est réglée très efficacement:


Donc Poroshenko et ses tuteurs ont laissé le blocus prendre de l'ampleur, pour permettre la rupture totale des liens politiques et économiques avec le Donbass ... et avec la Russie. Des signes avant-coureurs furent visibles, lorsque le pouvoir a commencé à lâcher les oligarques, qui n'étaient plus aussi utiles. Kolomoïsky qui s'est rapidement enfui et dont la banque Privatbank a été nationalisée le 18 décembre 2016, Firtash soudainement arrêté à Vienne en février 2017, quant à Akhmetov, le blocus l'a obligé à faire un choix et mettre un terme à son double jeu.

Il a donc été important de gagner du temps, pour prendre le temps de faire le ménage parmi les oligarques qui ne sont plus nécessaires et pour donner aux autres le temps de s'adapter. Par ailleurs, le blocus économique ne touche pas que les oligarques, mais aussi la population. Il était politiquement impossible de prendre cette décision immédiatement à la sortie du Maîdan - sans compter l'espoir de récupérer par une guerre éclaire le Donbass - car la chute du niveau de vie aurait été trop importante et visible, ce qui aurait discrédité la glorieuse "voie européenne". Il a été préférable de laisser pourrir la situation.

Maintenant, le secteur bancaire russe en Ukraine est sous le feu et l'expropriation se profile. La Sberbank Ukraine a été attaquée, formellement, après que la Sberbank Russie, la maison mère, ait finalement accepté de servir les clients en possession d'un passeport de DNR ou LNR, conformément à l'oukase présidentiel à ce sujet. Si ce n'avait pour cela, un autre prétexte aurait été trouvé, le moment de l'officialisation du divorce est arrivé. Donc, sans aucune intervention de la police, les bureaux de la Sberbank sont attaqués et murés à Kiev par le bataillon Azov, les distributeurs sont rendus inopérationnels. Voir dans la vidéo:


Les locaux d'une autre banque russe, Alfabank, beaucoup plus importante sur le marché ukrainien, sont également attaqués:


Ainsi, les groupes extrémistes, en l'occurrence Azov, sont utilisés par le pouvoir pour justifier la politique de séparation totale d'avec la Russie. Ils mettent une ambiance devant justifier la réaction de l'Etat, réaction qui n'est pas de rétablir l'ordre public, puisque la police regarde passivement. Ce jeu est particulièrement dangereux, car Kiev peut perdre le contrôle, mais tant que ses tuteurs jouent le jeu, il y a peu de risques. Aucun nouveau Maïdan ne se profile tant que dure le "Projet Ukraine".

En revanche, la limitation des retraits en liquide dans les banques russes est fondée et la Banque centrale demande l'interdiction pour les filiales ukrainiennes de sortir l'argent du pays et de le rapatrier vers la maison mère en Russie. Ainsi, lorsque ces banques seront nationalisées, il n'y aura pas de problèmes particuliers pour le système bancaire ukrainien: les fonds auront été bloqués à l'intérieur du pays et le pouvoir et les oligarques récupèreront les locaux et les parts de marché.

Cette constatation de la nécessité de récupérer le contrôle sur le business a été également faite par le Donbass, ce que l'on a pu voir avec la mise sous administration provisoire des entreprises ukrainiennes, qui doivent désormais reverser leurs impôts dans le budget local.

Sur le plan de la politique économique, le blocus a pleinement joué son rôle de détonateur.

Par ailleurs, la population a été préparée à la rupture totale avec la Russie par la mise en place de la politique de décommunisation qui est en fait une politique de dérussification. Il faut maintenant totalement bloquer les populations et les liens entre elles, en attendant la prochaine génération. Celle qui est actuellement à l'école et subie un reformatage total. De cette manière, un processus irréversible pourra être lancé, s'il n'est pas interrompu rapidement: même si l'Ukraine ne considérera plus la Russie, dans 20 ou 30 ans, comme un pays ennemi, parce que le temps aura passé, ce ne sera non plus un pays frère, mais un voisin, un étranger. Peut être sympathique, peut être antipathique, mais dans tous les cas autre. La rupture de deux peuples qui proviennent de la même source, de deux pays à l'histoire imbriquée aura été consommée dans cette guerre.


Quid du Donbass ?

Et reste ouverte la question de savoir ce qu'il adviendra du Donbass. Les accords de Minsk ont bloqué l'avancée des combattants et finalement seulement un petit bout de territoire a pu être préservé du coup d'état du Maïdan, qui est bien loin de Novorossia, dont l'idée a été effleurée, bien loin même des frontières des régions ukrainiennes de Donetsk et Lugansk. Ce territoire est incapable de vivre de manière autonome. Soit il constitue une partie, plus ou moins autonome, de l'Ukraine, soit la Russie doit le prendre sous tutelle. Or, le retour dans l'Ukraine est aujourd'hui devenu quasiment impossible. La Russie devra prendre une décision, dont géopolitiquement elle se serait bien passée, peut être, et qu'elle a tenté de ne pas avoir à prendre grâce aux accords de Minsk. Ces accords morts nés sont définitivement enterrés et maintenant il faudra assumer leurs conséquences.

Karine Bechet-Golovko 

PS: Pour les russophones, regardez cette émission, 60 minutes, passée hier soir sur Rossya 1





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