"Non, rien de rien, je ne regrette rien !"
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Avec mes Frères d'armes de la Brigade Piatnashka |
Je suis enfin sorti de réanimation où j'ai dû rester 1 mois en isolement sanitaire et social complet après avoir été fauché par une mine ukrainienne le 23 septembre dernier, sur le front Sud de la République Populaire de Donetsk.
Dans la vie il y a des moments où la destinée choisie croise le destin subi.
Jeudi 24 octobre 2019
Lorsque nous sommes arrivés sur notre nouvelle position ce 23 septembre, j'ai commencé dès les premiers déplacements à reconnaître ses tranchées de combat, d'observation, ses postes de tir, casemates et logis. Et c'est dans l'extrémité d'une tranchée d'observation que je me suis fait piéger par une mine ennemie installée lors d'une opération d'infiltration nocturne comme il s'en produit régulièrement sur ce front où les belligérants ne sont qu'à quelques centaines de mètres les uns des autres.
En une seconde ma vie a basculé: "clic", bond en arrière, explosion dans une boule de lumière et de chaleur qui m'a projeté en avant. Dès mes premiers cris de douleur et d'appel, mes camarades qui étaient dans la casemate voisine se sont précipités pour me porter secours.
Dès lors, une chaîne de solidarité humaine s'est organisée autour de moi depuis la tranchée jusqu'à Donetsk, avec une vivacité et une efficacité exceptionnelles qui dépassent largement le professionnalisme des hommes et des femmes qui m'ont sauvé la vie pour atteindre un élan de fraternité humaine servi par un courage inouï que jamais je n'oublierai.
- Je n'oublierai jamais les visages haletants de mes camarades qui, après m'avoir administré les premiers soins, m'ont évacué au pas de charge à travers le labyrinthe des tranchées souvent en dépassant leurs propres forces physiques, tout en m'apportant continuellement un soin attentif. Ce qu'ils ont fait relève de l’héroïsme.
- Je n'oublierai jamais les visages des mes officiers, "Znak", mon commandant de compagnie, lui même grièvement blessé au bras au début du conflit, "Svarog", le chef du bataillon, "Barz" son adjoint... venus en urgence pour suivre mon sauvetage jusqu'à participer eux mêmes au brancardage vers l'ambulance qui me rapatria vers Donetsk.
- Je n'oublierai jamais le personnel du service des urgences de l'hôpital de Novoazovsk, première étape de mon évacuation sur Donetsk. Je me souviens de toutes ses poches de sang suspendues au dessus de la table d'opération, dons d'inconnus qui participèrent à mon sauvetage. Désormais du sang russe coule dans mes veines de breton.
- Je n'oublierai jamais les camarades qui, depuis Donetsk, dès réception de la nouvelle concernant ma blessure ont immédiatement alerté les ministères concernés pour qu'une équipe médicale capable de réussir l'impossible soit mobilisée pour me réceptionner dès mon arrivée à Donetsk, car pour sauver mon bras chaque minute devenait vitale.
- Je n'oublierai jamais l'équipe de microchirurgie de l'hôpital de Donetsk, son immense professionnalisme qui a évité l'amputation, mais aussi son humanisme exemplaire, sa patience, sa ténacité et sa douceur. Ici, travaillant sans relâche jour et nuit, comme dans les autres hôpitaux, les aides soignantes, infirmières et docteurs font honneur à leur profession et à la République de Donetsk.
Celles et ceux qui m'ont sauvé la vie puis le bras, depuis mes camarades de Piatnashka jusqu'au chef du service de microchirurgie de Donetsk sont du Donbass, mais aussi de Russie, d'Ukraine, du Caucase, de l'Azerbaïdjan; ils sont orthodoxes, musulmans, juifs ou athées... Mais tous ont un point commun: ils œuvrent naturellement de coeur sous l'égide de ce sentiment d'appartenance à une entité humaine supra communautaire née de l'Histoire de toutes les Russies.
Ce sentiment supra communautaire, que j'appelle la "notion d'empire" et qui a été forgée au cours des différentes métamorphoses historiques de la Russie appartient au domaine du coeur et non à celui des certitudes idéologiques qui souvent génèrent des pensées uniques communautaro-centrées (religieuse, ethnique, culturelle etc.) comme celles qui ont fourvoyé l' Occident sur les chemins bellicistes des colonialismes religieux, militaires, économiques, politiques pour imposer, par la force si nécessaire, cette "idéologie du même" qui fait de l'Homme un clone et du clone un esclave.
Je pense modestement avoir été, suite à ma blessure, le témoin de cette solidarité fraternelle, spontanée et héroïque qui est consubstantielle à l'âme russe et je suis éternellement reconnaissant pour tous ces hommes et ces femmes qui l'ont naturellement organisé pour me permettre de témoigner encore et toujours de la noblesse de coeur des peuples de Russie. Et la brigade internationale Piatnashka est une haute illustration de cette fraternité de coeur et de sang.
Malgré l'épreuve toujours en cours je dois dire que je ne regrette rien de mon engagement dans le Donbass et le fait de servir la République Populaire de Donetsk depuis bientôt 5 années.
Je ne peux terminer cette "remise en selle" encore fatigante sans remercier les centaines de personnes qui sur les réseaux ou à Donetsk se sont inquiéter pour moi, m'exprimant une amitié indéfectible. Vos soutiens dans leur nombre et leurs qualités m'ont particulièrement touché. Je vous demande juste du temps afin que je retrouve assez d'énergie pour pouvoir vous répondre et vous remercier de votre empathie fraternelle.
En attendant je vous offre cette chanson russe "Oh les routes" qui évoque la destinée du soldat sur les chemins de la guerre:
Erwan Castel